Ce mois-ci dans le blog je vous parle de mobilier peint. Cela faisait un moment que je préparais un petit topo sur ce thème qui me tient à cœur et, cela, pour plusieurs raisons. La première c’est que je trouve que c’est une belle tradition et que certaines réalisations (françaises, européennes, asiatiques, amérindiennes…) sont splendides. La seconde, c’est que j’avais envie de vous présenter (rapidement) quelques méthodes anciennes, avant que le XIX° et la Révolution industrielle ne voient apparaitre les peintures issues de la pétrochimie (que personnellement, je n’aime pas du tout). Les peintures naturelles que les Anciens fabriquaient ont un charme immense et offrent des rendus bien plus authentiques que nos laques actuelles. Enfin, la dernière raison c’est que j’entends souvent dire : « Ah, les meubles relookés (un mot que je déteste), c’est une mode, cela passera ». Cette phrase me hérisse.
Ce qui est une mode, en revanche, actuellement, c’est le « Do It Yourself », et dans ce domaine, peindre ses meubles est devenu un passe-temps, un loisir créatif, une activité de développement personnel, le plus souvent pour repeindre un meuble en uni triste et utilitaire. Les produits grand public fleurissent et nous font croire que l’on peut se transformer en peintre sur mobilier en un week-end. Combien de fois ai-je entendu en Salon des badauds me dire : « Ah vous peignez les meubles, moi aussi, je fais la même chose que vous… ».
La peinture sur mobilier est pourtant un métier d’art issu d’une très longue tradition et il me semble difficile de comparer un loisir et une activité artisanale (alors que malheureusement, c’est courant, aujourd’hui, tout le monde est spécialiste de tout !).
Il y a donc un certain mépris pour ces meubles peints (et les artisans qui les créent), par méconnaissance sans doute mais également parce qu’ils déroutent les amateurs de « classique » puisqu’ils font appel à l’imagination et à la créativité. Des bois peints mexicains aux peintures iraniennes en passant par les berceaux scandinaves, les armoires provençales et les laques chinoises, la liste est infinie. Je me contenterai ici de vous présenter des exemples français et européens pour la plupart. La liste est loin d’être exhaustive, mais de nombreux ouvrages s’en chargent à ma place.
Loin de moi l’idée de vous faire un cours sur l’histoire du mobilier peint, je vous emmène simplement à travers les âges, pour vos montrer quelques exemples de mobilier peint/décoré, de l’antiquité à nos jours pour que vous compreniez (et appréciez ?) un peu cette tradition.
Le mobilier peint/décoré : une tradition ancienne
Peu de meubles peints ont aujourd’hui plus de deux siècles et demi et ceux qui nous sont parvenus siègent désormais dans les musées. Ainsi j’illustre parfois ici mon propos avec des reconstitutions ou des imitations s’inspirant d’écrits, de peintures, de vestiges.
On peut effectivement remonter bien loin dans notre passé et découvrir que déjà, le mobilier était largement décoré, orné, sculpté et coloré. La peinture (sous toutes ses formes) n’était pas la seule technique d’embellissement : les bois précieux, l’or, les pierres colorées, le verre, la céramique, l’ivoire servaient également au décor.
C’est en Egypte que l’on peut commencer notre voyage dans le temps. Le mobilier et le bois peint ont trait, ici, à la royauté, à la richesse et aux royaumes des morts. C’est le cas de ce trône et des boites à ousheptis.
L’antiquité grecque et romaine possédait également un mobilier déjà orné et décoré. On le voit ici grâce à cette reconstitution de banquette romaine et aux fragments de décor de meubles issus des collections du Louvres.
La villa Kérylos bâtie en 1902 par un érudit passionné par l’antiquité grecque s’inspire de fouilles archéologiques menées en Grèce. Le mobilier a été conçu en s’inspirant des vestiges des cités égéennes.
Le mobilier peint : une tradition paysanne
Les créateurs de meubles peints, au le Moyen Age, sont les « paysans artisans ». Une certaine démocratisation se produit. D’une manière générale, le terme de « meuble paysans » est utilisé pour regrouper tous les genres de meubles peints puisqu’ils sont nés en milieu rural et décorés selon le folklore du pays, de la région. Le but pour eux était à la fois de protéger le bois contre les agressions (colorer les meubles au sang de bœuf comme à Guérande par exemple) mais aussi l’embellir puisque la peinture dissimule des essences de bois simples et peu précieuses et permet d’imiter à moindre frais les marqueteries de bois précieux que seuls pouvaient alors s’offrir les plus fortunés. C’est ici que le folklore de chaque pays s’exprime en de multiples motifs liés à la culture des lieux, naturalistes et naïfs en Europe centrale (motifs floraux stylisés, rosaces, rinceaux), plus religieux, plus antiques, païens et descriptifs en Italie et en Espagne.
Tous les meubles (et au-delà, toutes les boiseries des habitations) se peignent : coffres et coffrets, berceaux et lits, armoires et vaisseliers, chaises et tables. Dans certaines régions on allie peinture et sculpture (Bretagne par exemple). Regardez ces exemples d’armoires (provençales et autrichiennes), ce coffre alsacien et ces lits catalans.
Les laques de Venise au XVIII° siècle
Ici il s’agit d’une technique un peu différente mais la volonté reste la même : imiter à moindre coût ce qui se fait de plus beau. La mode des objets laqués chinois et japonais se répand en Europe au XVII° siècle et au XVIII° siècle une véritable épidémie d’orientalisme gagne les cours européennes. Les Vénitiens mettent alors au point la « lacca povera » (ou arte povera) pour laquelle des gravures sont collées, peintes à la détrempe et vernies. Ils imitent ainsi à moindre coût les meubles laqués asiatiques. Peu à peu à Venise, le modèle chinois va disparaitre pour être remplacé par le genre floral et les scènes pastorales.
En France c’est la naissance du « vernis Martin » à base de copal qui sert à imiter les laques chinoises.
Les XVIII° et XIX° siècles français
A la suite des frères Martin et de leur vernis, la tradition de mobilier peint, orné et richement décoré se perpétue aux XVIII° et XIX° siècle avec le travail magnifique d’ébénistes renommés tels Martin Carlin et ses meubles recouverts de plaques de porcelaine de Sèvres peintes. Les meubles de style Louis Philippe se parent également de décors peints et la mode se poursuit avec le style Napoléon III.
Le meuble peint continue également d’exister avec le style Npoléon III.
Et enfin, à l’aube du XX° siècle l’Art Nouveau consacre la place du mobilier décoré dans les arts décoratifs.
Admirez ci dessous ces meubles de Gallé et Majorelle en marqueterie.
Des techniques de peintures anciennes, artisanales et faites maison
Si aujourd’hui les peintures « sans effort et tous support sans décapage » (et sans charme) sont légion (Libéron, Annie Sloan, Camaelle, Eléonore Déco et tous les Ripolin du même style), au départ l’artisan ou l’artiste peint le bois (le bois brut) avec des techniques naturelles. Il ne fait pas du relooking de supermarché. Cela signifie qu’il connaît le bois, les essences, sait les reconnaître, les travailler, les préparer. Tout cela parce que le bois est vivant et que l’on ne peut pas faire n’importe quoi. Tout cela dans une logique de protection et d’embellissement du bois dans le respect du travail de l’ébéniste. On en revient ici à ce que je vous annonçais en introduction : il existe des méthodes ancestrales de peintures aux « recettes maison » que les « paysans artisans » ont mis au point avec ce qu’ils avaient sous la main. Et c’est là que l’on peut retrouver réellement l’esprit ancien du meuble peint et réaliser de belles réalisations dans le respect de la tradition avec des couleurs (donc des pigments) bien choisies et des motifs (pas d’aplat sans saveur). Précisons juste que pour mettre en œuvre ces techniques traditionnelles le bois est brut, donc décapé, poncé et préparé.
La plupart des peintures traditionnelles sont faciles à fabriquer et elles peuvent être mises en œuvre avec des effets décoratifs des plus simples aux plus élaborés. A cet agrément créatif s’ajoute un autre aspect (et non des moindres aujourd’hui), la possibilité de concevoir une décoration sans danger pour sa santé et pour l’environnement (même si je ne suis pas une fanatique de l’écologie). Alors exit les peintures industrielles glycérophtaliques ou acryliques qui plastifient nos supports bois et vieillissent mal et bienvenues aux peintures ancestrales qui sont belles immédiatement et se dégradent harmonieusement en patinant et vieillissant. Avec toujours cette petite part d’aléatoire que, personnellement, j’adore !
Quelques méthodes utilisées par les Anciens …
Techniques à l'eau : Détrempe et Tempera
Le terme de détrempe regroupe les mélanges de peinture à l’eau. La tempera est un type particulier de détrempe parce ce qu’elle est à base d’une émulsion et non d’eau (l’œuf notamment). Pour la tempera à l’œuf on mélange simplement du jaune d’œuf et de l’eau ainsi que du pigment. On peut également créer une détrempe avec du blanc d’œuf, de l’eau, de la gomme arabique et du miel, le tout teinté aux pigments. Pour la tempera à la pomme de terre on utilisera une purée délayée (ou de la fécule) à laquelle on additionnera de la craie et du pigment. La détrempe à la farine (peinture suédoise) peut être utilisée en extérieur tant elle est solide. Les détrempes à la caséine ou au fromage blanc sont les plus utilisées dans le sud de la France et dans le sud de l’Europe tandis que la détrempe à la bière est plus répandue en Europe centrale et du Nord. La détrempe à la colle de peau de lapin est la plus connue et une des plus ancienne.
Techniques à l'huile : Végétales et animales
Les glacis et peintures à l’huile étaient communes mais avec des temps de séchage assez longs. Ils étaient davantage utilisés dans le Nord de l’Europe et l’Europe centrale. Les artisans les obtenaient en mélangeant de l’huile (de lin, de noix, de carthame le plus souvent) avec des pigments et plus tard de la térébenthine ou du citrus. Les peintures à la cire et à l’encaustique étaient également largement usitées. C’est à cette famille de techniques qu’appartiennent la céruse (encaustique et blanc de plomb) et la cera colla.
C’est grâce à ces techniques anciennes que l’ont reconnaît un meuble peint ancien et du travail de relooking d’aujourd’hui. Et, soyons honnêtes, il n’y a aucune comparaison possible !
Les pigments : Naturels ou transformés
C’est avec les pigments naturels que les peintres ont commencé à badigeonner leur mobilier et leurs boiseries. Ils sont obtenus sans aucune transformation et regroupent les ocres et les terres (ocre jaune, terre de Sienne, terre d’ombre naturelle, noir de fumée). Peu à peu ces artisans ont conçu des pigments artificiels par manipulation (oxydation et calcination par exemple à partir d’un pigment naturel). C’est le cas de l’ocre rouge, de la terre de Sienne brûlée. Entrent également dans cette catégorie les pigments organiques d’origine animale (sépia, cochenille) et végétale (indigo, garance). On obtient ainsi une variété infinie de couleurs.
« Aujourd’hui, on trouve dans nos villes devenues inhumaines, des « peintres paysans », héritiers et gardiens des traditions qui ont retrouvé les couleurs, les thèmes et les motifs des peintres d’autrefois et parfois leurs secrets… mais surtout la sagesse et la joie de vivre » M. Pellissier.
C’est mon cas !